Quand on raconte l'histoire, on s'intéresse en général davantage aux hommes qu'aux femmes. Les hommes font ou défont des empires, ils gagnent ou perdent des guerres. On cite souvent les femmes quand elles se comportent comme des hommes, quand elles sont pharaons comme Hatshepsout ou Cléopâtre, ou bien chefs de guerre comme Jeanne d'Arc. Le reste du temps, elles figurent souvent comme compagnes d'hommes illustres, chargées de leur donner des enfants.
Une lecture superficielle de la Bible permet d'y retrouver ce schéma. On a pourtant intérêt à ne pas en rester là et à affiner le regard. Les femmes ne jouent pas le même rôle que les hommes dans les récits bibliques. Leur intervention dans le récit n'est jamais le fait du hasard. Prenez l'exemple de Cippora, femme de Moïse. Le livre de l'Exode parle d'elle au moment où Moïse en fuite, après l'assassinat d'un contremaître égyptien, trouve refuge dans une tribu étrangère. Moïse épouse une fille de la tribu des Madianites qui lui donne un fils appelé "l'émigré".
L'extrait ci-dessus se situe après l'épisode du buisson ardent et la vocation de Moïse. C'est l'un des textes les plus étranges de la Bible. Moïse emmène sa femme et son fils pour entreprendre 1'action de libération. Mais celle-ci est dangereuse, pleine d'imprévus. L'épreuve commence par une agression du Seigneur ! C'est sur prenant. Nous ne sommes pas habitués à voir le Seigneur sous les traits d'un agresseur. Il faudra pourtant nous y faire. Le Seigneur va agresser l'Égypte, faire mourir tous les premiers-nés. Les premiers-nés des Hébreux seront protégés par le sang sur les linteaux des portes.
Moïse est protégé par le sang de la circoncision de son fils versé sur ses pieds (les pieds, selon un euphémisme courant dans la Bible, désignent probablement le sexe de Moïse). Par le sang de la circoncision, Moïse est maintenant protégé dans le combat qu'il va entreprendre contre toutes les puissances de l'Egypte.
Ne nous laissons par dérouter par l'étrangeté de cette scène et ne lisons pas tout au premier degré. La scène nous montre que Moïse n'est pas seul dans son aventure. Sa femme étrangère est à ses côtés. Elle le seconde jusqu'à lui sauver la vie. Elle fait un geste qui sera 1' apanage des rabbins par la suite. En langage chrétien on pourrait dire qu'elle est le ministre d'un sacrement de salut. Dans l'histoire de la libération d'lsraël, le premier geste est un geste de courage, de foi et d'amour. Dieu a mis ce couple à l'épreuve. Il en est sorti grandi.

Joseph Stricher, Extrait du Livret "Plaisir d'amour, plaisir de Dieu" (Edition ACGF 1998)