La jeune Salomé et la femme d'âge mûr qu'est Judith recueillent, pour prix de leur beauté et de leur ruse, la tête d'un homme honni. Impavides dans leurs requêtes, elles mettent leur beauté en avant comme une arme plus puissante qu'un régiment d'élite. Mue par d'indécents desseins, Salomé provoque ainsi le martyre de Jean le Baptiste, tandis que Judith, poussant la piété jusqu'à l'héroïsme, délivre lsraël de son ennemi, et semble l'instrument même de la protection divine. Malgré ce qui les sépare, les deux femmes se servent de leur beauté comme d'un sabre pour châtrer à vif la puissance de leurs adversaires. Toute leur féminité tient dans une force virile érigée en bijou.

Salomé d'abord. C'est une toute jeune fille :
Semblable à une gazelle,
à un jeune faon
sur les montagnes de Bétèr.
Hérode, pour son anniversaire, donne un banquet en l'honneur des grands de sa cour, des officiers et des principaux personnages de la Galilée. Sur des plats précieux se dressent des mets raffinés. Des grains d'anis à l'écorce de cannelle sont répandus de loin en loin. La fille d'Hérodiade, pour complaire à l'assemblée se met à danser, tenant des thyrses, au son du sistre et du tambourin. Elle est pieds nus et porte des grelots aux chevilles. Sur sa tête, un petit bonnet chamoisé où luit la calcédoine sanglante. Des voiles légers flottent autour d'elle, et moulent la vague mouvante de ses flancs. Elle fleure l'œillet, la rose et le lys d'avril. De ses manches sortent des mains qui improvisent dans le suspens de l'air une calligraphie envoûtante. Des breloques prises dans la trame bariolée de l'étoffe qui la ceint rythment son pas léger. Frêle et vive, elle foule comme une grappe écarlate les tapis de Perse amoncelés sous ses pieds.
La Sainte Agathe de Zurbaran, telle que la décrira Valéry, présente un plat d'argent où pâlissent les seins coupés par le bourreau - les seins inutiles qui se fanent. De la taille fine de Salomé la Cruelle s'élance un buste radieux comme une gerbe de glaïeuls. La musique emplit son corps et le dilate avec une ampleur de houle. On voit ses seins éclore sous le souffle des instruments qui l'accompagnent, et de toute sa taille, elle se cambre, altière. Elle se love dans les prunelles qui sous le joug de sa danse érectile étincellent. Elle fait monter le désir dans les chairs et se nourrit de cette profusion d'images scintillantes que fait jaillir son corps. Elle plaît à Hérode au point qu'il s'engage par serment à lui donner ce qu'elle demande. Endoctrinée par sa mère, elle lui dit: "Donne-moi ici, sur un plat, la tête de Jean le Baptiste."