PREFACE

La femme et le féminisme sont des sujets à la mode. Polémique ou plaidoyer, on cherche à savoir quelle a été la place des femmes dans l'histoire à telle ou telle époque. Il semble que soudain on découvre ou redécouvre "l'éternel féminin"!

Lorsqu'on parcourt la Bible, il peut sembler à première vue que les femmes ne sont pas mentionnées très souvent et que lorsqu'elles le sont, c'est pour souligner leur rôle secondaire par rapport aux hommes. Cela se comprend dans une société dont la cohésion sociale et l'économie reposent sur la cellule familiale où la femme trouve sa place soit comme épouse soit comme mère. Certes, les femmes se trouvent dans tous les domaines sociaux, y compris dans celle du gouvernement, comme Débora, mais lorsque l'auteur de la lettre aux Hébreux évoque les Juges, il écrit: "Et que dire encore? Le temps me manquerait pour parler en détail de Gédéon, BARAQ, Samson, Jephté, David, Samuel et les prophètes..."(Hébreux 11,32) Tous les premiers rôles, ou presque tous, semblent tenus par des hommes! Dieu n'aurait-il parlé qu'aux hommes? Chargeant ces derniers de parler aux femmes en son nom? Il est vrai que c'est à Abraham que Dieu dit: "Quitte ton pays", mais c'est Abraham et sa femme Sarah qui quittent leur pays.(Genèse 12,5) Mais, que serait devenu le peuple d'Israël campant au delà du Jourdain si Rahab n'avait déjà connu qui était leur Dieu sauveur? Si elle ne les avait à son tour protégés et sauvés en la personne des envoyés de Josué? La réalité est ainsi bien différente lorsque le regard s'attarde et que l'on tourne moins vite les pages. Plongeons-nous dans cet univers biblique. Que nous révèle-t-il des femmes?

 

 

D'abord, qu'elles sont partie prenante et agissante de l'histoire biblique. Elles ne font pas que suivre mais bien au contraire, souvent, elles prennent l'initiative. Mais elles le font dans le cadre socioculturel et religieux qui est le leur et où elles ont un statut de subordonnées. A cause de ce statut de subordonnées les femmes doivent agir en utilisant des stratagèmes, des ruses.(Les hommes y recourent également, mais dans une bien moindre mesure et uniquement dans une position de faiblesse.) C'est ainsi que Tamar, Yaël ou Ruth sont décrites comme faisant des choix autonomes, c'est-à-dire qu'elles ne dépendent pas d'une autre autorité. Chacune de ces femmes s'avance à un moment crucial dans la vie d'une famille, d'une ville ou de tout un peuple, et leur action donne un tour positif aux événements qui, sans elles, menaient vers une issue négative. Pour autant, il n'y a pas de changement apparent dans leur statut même s'il y a un monde de différence entre Noémi et Judith!

De manière générale, la tradition biblique perçoit les femmes comme intelligentes et dotées d'un bon sens qui manque souvent cruellement aux hommes. Ainsi Aksa, fille de Caleb, est mariée à Otniel parce qu'il est celui qui a conquis la ville de Qiryath Séfèr pour Caleb. (Josué 15,16-19) Lorsque Aksa est présentée à Otniel, ce dernier lui suggère de demander à son père un champ. Aksa se jette aussitôt au pied de son père et lui demande des sources d'eau! Elle est en effet reléguée au désert du Néguev, région aride. De quel intérêt pourrait être une parcelle de terrain sans les sources d'eau qui permettent de cultiver et de vivre à cet endroit? Aurait-elle obéi à son mari, ils auraient eu un terrain sans valeur; au désert l'espace ne manque pas. Alors que, grâce à la présence d'esprit et au bon sens d'Aksa, ils vont détenir une richesse inestimable au désert: des sources d'eau. Preuve de bon sens encore chez cette femme de la ville d'Avel-Beth-Maaka. Shèva, fils de Bikri, après s'être révolté contre David, s'est réfugié dans la ville.(2 Samuel 20,16-22) Tous les habitants sont à l'intérieur. Ils semblent attendre que tombe le rempart sous l'effet des travaux de sape de l'armée. Une femme "sage" (hakhama), précise le texte, prend l'initiative et va adresser la parole au redoutable Joab. Elle va, en fait, engager une négociation avec Joab qui aboutira à la levée du siège contre la tête de l'insurgé. Cette femme, dont nous ne saurons pas le nom, parle ensuite à tout le peuple, lui faisant part "de son avis judicieux" (verset 22) et fait accepter et exécuter sa décision. Où sont les chefs du peuple, les hommes de robe ou d'épée d'Avel Beth Maaka? Ils sont "absents"! C'est une femme qui sauve sa ville de la destruction et épargne la vie de nombre de ses habitants. Bon sens, esprit d'initiative et esprit de décision dans un rôle dit "masculin", nous retrouvons toutes ces caractéristiques chez une autre femme, également anonyme, la femme de Tévéç.(Juges 9,50-55) Ici encore, nous avons une situation absolument désespérée et bloquée. Toute la population s'est enfermée dans une tour, dernier rempart contre Abimélek qui semble invincible. Il s'apprête à les brûler vifs et voilà que d'un simple geste de la main, sans effort, avec pour toute arme un morceau de pierre, une femme lui brise le crâne et tout s'arrange.

On a souvent cité les paroles de Ruth à Noémie comme exemplaires de la fidélité féminine, de la soumission féminine.(Ruth 1,16-17) Or, ce qui devrait surprendre, c'est le comportement inhabituel chez une femme, et une femme idolâtre par surcroît. Elle va faire le choix de l'unique: un seul peuple, un seul Dieu, une seule terre, une seule parenté.

Et avec Dieu ? Quelle est la relation des femmes avec lui? On peut dire qu'elle est sans compromis. Pour Dieu, pour que sa Parole se réalise, les femmes sacrifient tout et se sacrifient, et Dieu leur demande beaucoup et compte sur elles. On réalise le prix qu'attache Dieu à la relation d'une femme avec lui, à sa réaction devant le rire de Sarah lorsqu'elle apprend qu'elle va devenir mère. Abraham, lui aussi, a ri, mais Dieu n'en a pas tenu compte, Dieu connait la faiblesse masculine! Mais lorsque Sarah rit, elle réagit comme un homme. Manquant de lucidité parce que ne se fiant plus à son «expérience/ connaissance» de Dieu, elle sait bien que rien n'est impossible à Dieu. Sarah est celle qui, au pays d'Egypte, sur la demande même d'Abraham, va sacrifier sa réputation, sa vie peut-être même, en devenant la concubine de Pharaon. Celui qui la protégera et la sauvera en définitive sera Celui sur qui elle compte: Dieu.
Les femmes dans la Bible se retrouvent bien souvent dans des situations ambiguës, extrêmes, à cause de Dieu. Rahab, Ruth, Tamar, Esther , Judith, Anne et Marie, mère de Jésus, ...toutes ces femmes acceptent d' accomplir la parole de Dieu parce qu'elles ont toutes une relation, un lien avec Lui. Relation et lien qui s'expriment dans la prière et dans l'action.
Un texte bien connu de la Bible nous éclaire à la fois sur la façon dont la femme est perçue dans la tradition biblique et comment la lecture traditionnelle de ce même texte détourne cette perception pour se concentrer sur les vertus d'un homme. Il s'agit d'un des jugements les plus célèbres de Salomon.(1 Rois 3,16-28) Le texte nous raconte comment deux femmes se présentent devant le roi pour demander son arbitrage. Elles ont toutes les deux donné naissance à un nouveau-né de sexe masculin, mais l'un des enfants est mort. Chacune de ces femmes prétend être la mère du survivant. Salomon va reconnaître la vraie mère, à ce qu'elle préfère voir l'enfant chez une femme étrangère mais vivant, alors que celle qui n'est pas la mère, ayant perdu son enfant, ne voit que justice dans la mort du fils de l'autre. La conclusion de l'épisode:"Tout Israël entendit parler du jugement qu'avait rendu le roi et l'on craignit le roi, car on avait vu qu'il y avait en lui une sagesse divine pour rendre la justice".(verset 28) L'histoire nous aurait donc été contée uniquement pour célébrer le jugement de Salomon Mais relisons le texte en plaçant au centre, non plus la sagesse de Salomon, mais le comportement des deux femmes. Ce sont des prostituées, précise le texte. Le fait d'être prostituée change-t-il quelque chose au conflit qui oppose les deux femmes? Certainement pas. Il s'agit de deux femmes se disputant un nouveau-né dont chacune affirme être la mère. Mais, en mentionnant leur qualité de prostituées, le texte nous permet de découvrir qu'il renferme également une réflexion sur la femme en général et sur la femme mère en particulier. En effet, une prostituée qui fait commerce de son corps est, dans la tradition biblique, avant tout une femme sans enfant. Elle est l'antithèse d'une épouse et d'une mère. (Elle est la femme disponible par excellence: disponible à tous et à Dieu!) Or, ici, on nous montre ces deux femmes connues comme des prostituées prendre le risque de se présenter devant la justice royale pour se disputer un enfant. Mieux encore, on nous montre une de ces femmes se transformer en mère prête à renoncer à ses droits pour sauver la vie de son fils. Le texte hébreu utilise une expression très imagée: "ses entrailles brûlent, fondent", comme celles de Joseph lorsqu'il voit ses frères et que, bouleversé, il se retire dans une autre pièce pour pleurer.(Genèse 43,30) Ces entrailles qui brûlent, c'est l'amour qui submerge cette femme et la pousse à choisir l'essentiel: sauver la vie de son enfant. Salomon ne s'y est pas trompé. L'auteur biblique peint là un magnifique tableau d'une femme, d'une mère. Il n'y a aucune interférence masculine. L'enfant d'une prostituée n'a pas de père parce qu'il peut en avoir beaucoup. La pointe du texte pourrait donc bien être cet amour débordant de la femme pour son enfant, amour dans lequel Dieu se retrouve.("Les prostituées vous précèdent dans le Royaume de Dieu." Matthieu 21,31)
Un autre trait nous semble propre aux femmes bibliques, celui de l'accueil qu'elles font à la Parole de Dieu, soit reçue directement, soit transmise par un messager.
Nous prendrons comme exemple le passage d'Elie et la Veuve de Sarepta. (1 Rois 17,8-24) Dieu envoie Elie non pas à un riche marchand ou du moins à une riche veuve de Sarepta, mais à une femme non seulement veuve, mais pauvre. Cette femme est, dans une certaine mesure, une assistée sociale. Mal assistée déjà en temps normal, elle l'est encore moins par temps de pénurie. C'est la famine partout et lorsqu'il n'y a rien à manger pour tous, il y en a encore moins pour les pauvres. La question qui se pose est la suivante: à quoi pense Dieu en envoyant Elie à Sarepta, chez une femme, une veuve, et pauvre de surcroît? Et pourquoi une femme plutôt qu'un homme? Le texte suppose un lien entre cette femme et Dieu, puisque ce dernier dit à Elie qu'il a ordonné à une femme veuve de le ravitailler. Elie demande d'abord à la veuve de l'eau, une demande qu'elle peut satisfaire. Mais Elie ajoute une autre demande: du pain. Alors, la veuve révèle son dénuement total. Elle expose la situation sans récrimination.Elle a pris la décision de manger et mourir. Elie saisit cette détermination et lui dit d'abord: "Ne crains pas! Rentre et fais ce que tu as dit". Mais il ajoute:"seulement, avec ce que tu as, fais-moi d'abord une petite galette et tu me l'apporteras; tu en feras ensuite pour toi et pour ton fils."(verset 13) Pourquoi doit-elle donner à manger à Elie d'abord? Parce qu'ainsi elle va montrer qu'elle accepte d'obéir à Dieu qui "lui a ordonné" de nourrir Elie. Mais, ce faisant, elle doit prendre le risque de n'avoir plus assez pour elle et son fils. Que lui offre-t-on comme garantie? Une Parole de Dieu, la promesse qu'elle ne manquera de rien durant toute la période de famine. La femme décide de faire, non selon ce qu'elle a dit, mais selon ce qu'Elie a dit. "Elle s'en alla et fit comme Elie avait dit; elle mangea, elle, lui et sa famille pendant des jours".(verset 15) La femme fait la première expérience qu'accepter la Parole de Dieu est nourriture et lui donne vie. Sa décision est toute intérieure.Le pas qu'elle fait sur l'eau sans autre soutien que la parole d'un étranger réveille en elle l'écho d'une autre parole reçue sans médiation, celle de Dieu. Le geste quotidien, féminin diront certains, de pétrir la pâte pour le pain d'Elie est son acte de foi, geste concret où elle joue sa vie et celle des siens. Nous sommes bien loin d'une image de la femme située au second plan sans autres responsabilités que celle du ménage. Grâce à elle, la Parole de Dieu va vivre parce qu'elle accepte de faire vivre le Prophète.
Nous pourrions évoquer bien d'autres situations où les femmes dans la Bible reconnaissent Dieu avant tout le monde et le font en accueillant sa Parole et ceux qui la portent. Leur accueil est toujours concret, généreux et désintéressé. La femme de Shunem dit à son mari: "Je sais que c'est un saint homme de Dieu", et lui propose de faire construire une chambre pour Elisée. Elle ne demandera rien en échange. (2 Rois 4,8-10) Il nous semble que la tradition biblique a perçu cette forme d'accueil bien concret, incarné, comme étant une spécificité féminine.

La tradition évangélique montre Jésus parlant avec des femmes, les guérissant. " Jésus faisait route à travers villes et villages... Les Douze étaient avec lui, et aussi des femmes qui avaient été guéries d'esprits mauvais et de maladies: Marie,dite de Magdala...Jeanne, femme de Chouza, intendant d'Hérode, Suzanne et beaucoup d'autres, qui les aidaient de leurs biens". (Luc 8,1-3) Ces femmes assument des rôles traditionnellement féminins d'accueil et de service, mais elles ne l'exercent plus dans le cadre familial, charnel, mais à l'égard de la famille dans la foi. Devenues disciples de Jésus, elles continuent à préparer les repas, à pétrir le pain. Mais ces gestes revêtent une autre signification et importance: il s'agit de servir le Seigneur et sa famille qui est constituée de tous ceux et celles qui écoutent et mettent en pratique Sa Parole.
Le texte de Luc nous dit peut-être le mieux quel changement apporte Jésus à la situation des femmes. Nous voyons que les femmes sont appelées à être disciples et témoins de l'Evangile. Ce n'est pas un hasard si Luc place ce passage, où il mentionne ces femmes, au début de son évangile. Il montre ainsi que ces femmes ont été témoins du début du ministère de Jésus et seront des témoins valides de sa résurrection dans et pour l'Eglise.
Plus que par des divergences exégétiques et même théologiques, c'est cette place accordée aux femmes par Jésus qui constitue une rupture avec la communauté juive dont il fait partie. Les femmes pouvaient recevoir la Parole de Dieu dans la liturgie synagogale mais ne pouvaient pas devenir disciples d'un maître, à moins qu'il ne fût leur père, ou leur époux, et qu'il accepte de les enseigner. Marie de Magdala, Jeanne, Suzanne ont quitté leur maison et leur famille pour suivre Jésus, et elles l'accompagnent dans tous ses déplacements, ce qui, pour ces femmes respectables, est un scandale au regard de la tradition juive et non juive.

La Bible nous réserve bien des surprises concernant les femmes. Ouvrons le livre et libérons la voix qu'il renferme. Nous l'entendrons ensuite, non plus au détour des pages et des versets, mais dans nos vies au fil des événements et des jours.


Soeur Zina SCHAKER



Soeur Zina Schaker fait partie de la congrégation des soeurs de Saint Joseph de l'Apparition, fondée en 1832 à Gaillac (Tarn) par Sainte Emilie de Viala. C'est une congrégation missionnaire. Elle assure dans la province d'Israël la formation biblique permanente. Elle est, par ailleurs, guide licenciée pour des groupes de pélerins en Terre Sainte. Elle accompagne, à ce titre, huit à dix groupes par an. Elle a fait une thèse sur Débora, la prophétesse biblique, et à partir de là ce qu'est devenu le personnage dans les traditions juives et chrétiennes des premiers siècles. Elle a ainsi étudié le prophétisme féminin, les ministères féminins dans le Judaïsme et dans l'Eglise primitive, les mouvements féminins, etc. Ceci dit, sa thèse n'est pas polémique et ne cherche pas à établir un réquisitoire, mais elle essaie de comprendre pourquoi et comment une femme telle que Débora finit par faire de la figuration dans les traditions post bibliques (sauf rares exceptions) comme le reste des femmes .

 


 QUI SONT-ELLES ?

Qui sont-elles ces femmes de la Bible ? Nombreuses, très nombreuses même dans l'Ancien et le Nouveau Testament, certaines fort bien connues, telles Athalie, Esther et Marie, dont l'histoire a inspiré poètes et écrivains, tandis que d'autres ne figurent que par leur nom. Qui sont-elles ? De fortes personnalités, des compagnes fidèles, des prophétesses, des prostituées, des reines féroces, des combattantes, des mères, des filles, des stériles, des matriarches, des veuves..., femmes aux multiples visages. Le lecteur de la Bible acquiert rapidement la conviction que LA femme de la Bible n'existe pas. Il existe des femmes, chacune originale.

Impossible de parler de l'histoire de l'humanité et de l'histoire du salut sans parler des femmes. Présentes dès l'origine, elles jouent un rôle très important à toutes les étapes de l'histoire de l'alliance de Dieu avec son peuple. Parfois plus fortes que les hommes, telle Débora avec Baraq, souvent plus tendres, elles ont partagé avec eux la même vocation: Adam, et Eve son vis-à-vis, appelés ensemble dès leur installation dans le jardin à vivre en alliance avec Dieu. Abraham et Sara, convoqués ensemble à se déplacer pour bénéficier de la même promesse, unis jusque dans le rire. Moïse et Myriam, le frère et la sur, joyeux de la délivrance d'Egypte et jaloux l'un de l'autre. Elqana et Anne, privés d'enfant. Osée et Gomer, couple déchiré comme tant d'autres. Ces hommes et ces femmes ont vécu, dans un peuple, déchirures et réconciliations, guerres et paix, avec la conviction d'être appelés à demeurer unis, car issus de la même souche.

A l'origine de leur vocation, Dieu créateur. Dieu n'a pas fabriqué le monde, il l'a créé. Ce n'est pas la même chose. Il a séparé les eaux d'avec les eaux pour faire naître la vie, afin qu'elle échappe au chaos, c'est-à-dire à la confusion qui règne lorsque rien n'est distinct. Dieu a séparé pour faire naître. En séparant il a créé, car créer c'est donner naissance. Comme l'enfant doit sortir des eaux maternelles et ne pas rester confondu avec sa mère pour naître à la vie, ainsi Dieu fait sortir le monde et l'humanité du chaos (Gn 1,1). Les récits de la création racontent l'histoire d'une naissance et d'une délivrance du chaos, de l'appel à la vie par Dieu créateur et sauveur. Car c'est à la vie que Dieu appelle, par sa parole «Dieu dit». Et que dit Dieu ? «Faisons l'humanité à notre image. Homme et femme il les créa» (Gn 1,26). Ce «Dieu dit» est une parole d'amour, la décision de faire vivre. Et Dieu se réjouit de la vie et la voit bonne. Et Dieu réserve le septième jour pour s'émerveiller de la vie et proposer à l'humanité de la goûter avec Lui.

Et voilà l'humanité - Adam - homme et femme, appelée à la vie par le Dieu qui est, dont en hébreu la Parole est au masculin et l'Esprit au féminin, à l'inverse de notre langue française ! Grandeur de l'humanité: «Tu en as presque fait un Dieu: tu le couronnes de gloire et d'éclat» (Ps 8,6) et faiblesse de l'humanité: «L'homme (Adam ) ! ses jours sont comme l'herbe; il fleurit comme la fleur des champs: que le vent passe, elle n'est plus» (Ps 103,15). Mais grandeur et faiblesse d'Adam sous le regard maternel de Dieu: «La femme oublie-t-elle son nourrisson, oublie-t-elle de montrer sa tendresse à l'enfant de sa chair ? Même si celles-là oubliaient, moi, je ne t'oublierai pas ! » (Is 49,15).

La création par la parole, comme toute naissance, est délivrance parce que sortie de la confusion; elle est aussi alliance, parce que appel au dialogue. En donnant la vie Dieu a pris les risques d'un Père et d'une Mère. Il a posé l'humanité libre devant lui et pris le risque qu'elle se retourne contre lui. Penché maintenant sur le berceau de l'humanité, Dieu, tel un Père et une Mère, guette ses premiers mouvements et tend l'oreille à ses premiers mots, espérant une réponse d'amour.

C'est l'histoire de la réponse de l'humanité à l'amour de Dieu que nous allons évoquer dans ces pages en notant particulièrement la place que les femmes ont tenue dans cette réponse. Impossible encore une fois de parler de la réponse de l'humanité au dialogue engagé par Dieu, sans parler des femmes, non pas parce qu'elles sont la moitié de l'humanité, mais parce que leur réponse avec les hommes est la réponse même de l'humanité, hommes et femmes.

La féminité est partout présente dans la Bible. La Sagesse, telle une petite fille, joue au milieu des humains (Pr 8,30). Les villes, telles des mères qui rassemblent leurs enfants autour d'elles, sont décrites avec des traits de femmes et les attributs de la féminité. Le peuple lui même a figure de femme. La fille de Sion, Jérusalem, telle une mère, enfante: «Pousse des acclamations, toi, stérile, qui n'enfantais plus, car les voici en foule les fils de la désolée» (Is 54,1). Quoi de plus naturel alors, que Dieu soit considéré comme l'époux de son peuple dont le Cantique des cantiques chante l'amour.

Comprendre la réponse de l'humanité et la place des femmes dans cette réponse nécessite du recul, le recul nécessaire à la lecture de la Bible. Il faut situer ces femmes dans les civilisations ambiantes, les cultures de l'époque, les mentalités et ne pas ignorer l'importance de la tribu, de la descendance, des coutumes. Il importe de ne pas lire les textes simplement avec nos yeux d'occidentaux, sans distance, et s'arrêter à ce qui nous choque pour le rejeter. Le langage biblique est parfois cru. Certaines histoires peuvent choquer et paraître peu "catholiques". Nous allons donc lire l'Ecriture avec la distance critique qui permet de comprendre le message de la foi.

Michel FROMONT, Femmes de la Bible, le dynamisme de la foi, ACGF 1994